
Télétravail, travail à distance, travail mobile, home office…
Autant de dénominations qui recouvrent l’idée de travailler en dehors des locaux de l’entreprise. Mais de quoi parle-t-on précisément ?
Aurions-nous autant entendu parler du télétravail sans cette crise sanitaire du COVID ? Tout laisse à penser que non. Et pourtant, il est, depuis ces dernières années, l’une des attentes principales des travailleurs, en terme de qualité de vie au travail. En lien avec la santé au travail il est devenu un sujet inévitable, participant ainsi, généralement à une amélioration des conditions de travail.
Il répond aussi à plusieurs objectifs, tels que tirer profit des nouvelles technologies, allier souplesse et sécurité, offrir des possibilités sur le marché de l’emploi, concilier vie de famille et vie professionnelle, moderniser l’organisation du travail.Mais quelles en sont ses origines ? Dans quel cadre le pratique-t-on en France, de manière habituelle et plus récemment dans un contexte de COVID ?
Le télétravail : Un septuagénaire en pleine forme
C’est dans les années 1950 que, pour la première fois, le concept de télétravail apparaît dans les travaux de Norbert Wiener, mathématicien américain, sur la cybernétique.
Il y mentionne l’histoire, marquante pour l’époque, d’un architecte installé en Europe et pilotant la construction d’un immeuble en Amérique grâce à la transmission de données. La notion de « telework » (télétravail) voit le jour dans les années 1970. Puis, dans les années 90, le développement des nouvelles technologies de l’information (NTIC) concourent à l’essor de cette nouvelle méthode de travail dans le monde. Et la multiplication des outils collaboratifs, ces dernières années, en facilite sa réalisation. Si la technologie joue un rôle primordial dans son déploiement, chaque pays, cependant, selon sa culture, l’adopte différemment.
Avant la crise du COVID, les pays anglo-saxons atteignaient des taux supérieurs à 30% d’actifs en télétravail, contre 10 à 20% dans l’Union Européenne. Et selon l’enquête Work Anywhere Global Survey sur le travail mobile, réalisée en 2017 auprès de 25 000 personnes dans 12 pays (dont 2 300 interrogées en France) par Morar Consulting, le Brésil se plaçait en tête des pays, avec près de 75% d’actifs en travail mobile. Il en est de même pour la décision de légiférer sur ce mode de travail.
Un cadre légal pour le télétravailleur français
La France a décidé d’apporter un cadre législatif au télétravail.
Ainsi, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, initie ce processus. Elle engage une concertation sur le développement du télétravail avec les organisations professionnelles et syndicales, dont l’objectif est d’élaborer un guide des bonnes pratiques servant de base de négociation à de futurs accords d’entreprise. Elle fixe, par ailleurs, un cadre utile pour le droit à la déconnexion.
C’est l’ordonnance Macron du 22 Septembre 2017 qui positionne, pour la première fois, un cadre juridique au télétravail. Et désormais, les articles L. 1222-9 et suivants du Code du Travail définissent les contours de ce sujet, protégeant ainsi les travailleurs à domicile.
Ainsi, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».
Le statut de télétravailleur confère au salarié les mêmes droits, avantages légaux et obligations que ses collègues travaillant dans les locaux de l’entreprise. L’employeur, de son côté, est soumis aux mêmes obligations de droit commun, notamment de santé et sécurité au travail, puisque tout accident survenu pendant l’activité professionnelle est présumé comme un accident du travail (article L.411-1 du code de la Sécurité Sociale).
Que ce soit par la mise en place d’un accord collectif, d’une charte ou d’un accord entre le travailleur et l’employeur, le télétravail doit être formalisé. Ce cadre prend en compte les principaux éléments que sont :
- les conditions de passage en télétravail et de retour du salarié dans les locaux,
- les modalités d’acceptation par le salarié, de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail,
- la détermination des plages horaires,
- et les modalités concernant les travailleurs en situation de handicap.
Il est à noter que tout refus de mise en place du télétravail de la part de l’employeur doit être motivé. Et, un refus de la part du travailleur ne peut, en aucun cas, être considéré comme un motif de rupture de contrat.
En revanche, en cas de risque d’épidémie ou de force majeure, le télétravail peut être considéré comme un aménagement de poste en vue de la continuité de l’activité de l’entreprise et une garantie de la protection du salarié. Dans tous les cas, le télétravail peut faire partie des négociations annuelles autour de la qualité de vie au travail (QVT), telles que stipulées dans la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, notamment autour de l’articulation de la vie personnelle et professionnelle.
Dates clefs de l’évolution du télétravail :
Des préconisations françaises et européennes
Au-delà du cadre législatif, des Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI) et Européens existent. Ils apportent un cadre et des préconisations à suivre.
Ainsi, le 19 juillet 2005, les partenaires sociaux français signent un Accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail. Outre les éléments repris dans les textes de loi mentionnés plus haut, cet accord stipule que le télétravail ne peut être source de discrimination. En revanche la situation de télétravail implique des spécificités qui lui sont inhérentes avec, par exemple : une période d’adaptation, des plages horaires durant lesquelles le salarié est joignable, une politique de remboursement des frais de l’activité professionnelle, des formations sur l’équipement, sur les mesures de prévention pour lutter contre l’isolement, sur l’organisation du travail et pour le salarié, son manager, ses collègues directs, une formation sur ce mode de travail.
Dans le contexte de crise sanitaire, l’ANI du 26 novembre 2020 vient compléter et actualiser ce cadre en opposant notamment le télétravail « exceptionnel » au télétravail « habituel », dont les conditions de mise en œuvre sont différentes. Globalement, le télétravail doit s’intégrer dans une organisation adaptée, et ne peut être simplement la transposition de l’organisation existante.
Sur la base de l’expérience de 2020 cet accord insiste sur :
- L’attention à la préservation du lien social pour le fonctionnement du collectif. Cela est rendu possible par une communication favorisant l’expression individuelle et collective,
- La transcription du télétravail au Document Unique et l’évaluation des risques liés à l’isolement,
- L’utilisation du matériel, le temps de travail et le droit à la déconnexion,
- L’anticipation des scénarios exceptionnels, et la vigilance auprès des salariés non habitués,
- La possibilité pour les managers de mieux appréhender les conditions réelles de travail et les salariés qui en ont besoin (en situation de handicap, malades, fragiles, aidants…). Il est important qu’il soit formé au management à distance pour animer les équipes,
Ces dernières sont possibles, à partir du moment où les règles d’organisation et les objectifs de chacun et du collectif sont clarifiés.
En parallèle, l’ANI du 19 juin 2013 portant sur la Qualité de Vie au Travail instaure des conditions qui facilitent la mise en place du télétravail.
2020, une accélération des accords
A elle seule, 2020 voit émerger 2 accords français supplémentaires et un accord européen qui viennent étoffer les conditions de travail en télétravail. Tous ces accords insistent une nouvelle fois sur la place du manager, au quotidien, comme relai de la politique de l’entreprise, de la Qualité de Vie au Travail.
L’ANI du 28 février 2020 invite à un fort renouveau des pratiques managériales. Il souligne la nécessité de former les cadres notamment en matière de relations humaines, de sécurité, … Le manager doit faire preuve de vigilance par rapport à la charge de travail, au respect du repos, à la trop grande porosité entre la vie privée et professionnelle.
L’ANI du 10 décembre 2020 sur la santé au travail encourage clairement à la mise en place de prévention primaire et au développement d’une culture de la prévention. Le principe d’adaptation du travail à l’homme et principe général d’ergonomie y sont soulignés. Il est, par ailleurs, mentionné la prévention des troubles musculo-squelettiques ainsi que celle des risques psychosociaux inhérents à l’activité professionnelle.
L’accord signé par les partenaires sociaux européens, le 22 juin dernier, s’intéresse à l’impact du numérique dans le travail. L’objectif de celui-ci est de sensibiliser et d’améliorer la compréhension de chacun autour des opportunités et challenges que présentent la digitalisation. Il apporte un cadre à destination des travailleurs pour une meilleure intégration de ces NTIC et un support à leur utilisation pour développer la productivité.
Trois sujets sont en liens avec le télétravail : le développement des compétences numériques, les modalités de connexion et de déconnexion ainsi que le respect de la dignité humaine et la surveillance. L’accord souligne aussi l’importance de développer des compétences sociales en terme de management humain et d’intelligence émotionnelle.
Un accompagnement nécessaire
Le télétravail existe depuis de nombreuses années. Il a été, pendant longtemps, confidentiel et peu répandu en France, si ce n’est dans les grandes entreprises ou dans les startups. Avec la crise sanitaire, il permet la continuité de l’activité et la protection des salariés.
Ce contexte a participé à son développement et en a bousculé les modalités… Et si ces évènements ont permis d’ouvrir la porte à cette nouvelle organisation du travail, et d’en repousser les frontières, des challenges subsistent avec les questions de l’équilibre vie professionnelle/ vie privée, de l’isolement, de la déconnexion, des compétences managériales.
Le télétravail revêt plusieurs formes et, comme toute autre organisation du travail, nécessite d’être expérimenté, accompagné, amélioré et toujours en adéquation avec les objectifs de performance de l’entreprise.
Enfin, le télétravail contraint, durant le premier confinement de 2020, n’est pas représentatif de ce mode de travail. Toutefois, des enseignements sont à tirer et différentes études montrent le chemin restant à parcourir.
Consultante Organisationnelle
et management de la QVT
Ambassadrice Pôle QVT
fr.linkedin.com/karine-baille
Consultante en promotion de la QVT,
prévention des Risques Psychosociaux
Ambassadrice Pôle QVT
www.veroniquelaclef.com